samedi 28 août 2010

Allo Houston ? … No problem here. How are you ?

Pour la première fois depuis mon arrivée à Austin, je me réveille avec la véritable lumière du soleil, sur les coups de 7h. C’est ma première nuit complète, excusez du peu ! C’est également le jour de ma première douche chaude, ce qui est loin d’être rien non plus (l’astuce étant d’attendre 5 minutes que l’eau chaude arrive…). J’en profite d’ailleurs pour y rester assez longtemps et transformer ma salle de bain en piscine municipale (je n’ai pas encore de rideau de douche, et la hauteur de la baignoire fait penser qu’elle a été construite pour des nains… ou plus vraisemblablement des personnes en surpoids).

Je sors de la douche, et soudain : blackout ! Je me retrouve assis dans la salle informatique du campus, sans comprendre comment j’ai atterri ici. Plusieurs heures ont passées, mais impossibles de me rappeler ce que j’ai bien pu faire… et je n’ai certainement pas cette pensée étrange deux semaines plus tard, assis derrière mon Mac entrain d’écrire ce blog. Non, certainement pas. Haha.

Et tandis que j’écris quelques mails à différentes personnes de la fac, Renée me propose de partir le soir même pour Houston, à 3h de route d’ici, chez la famille d’une de ses amies qui va bientôt partir pour Los Angeles. J’hésite ; demain commence le weekend d’orientation pour les étudiants étrangers, ça la foutrait mal que je le loupe. Elle ajoute que la mère de sa copine cuisine comme une déesse. Alors j’accepte. Sans trop de remords.

Vers 19h nous embarquons dans sa voiture. Enfin… « voiture » est un bien grand mot. De mon côté je préfère l’appeler « brouette ». Elle est grande, bleue, vieille, avec deux places à l’avant et possède un de ces grands coffres ouverts à l’arrière, comme une remorque imbriqué dans la voiture. Le devant de l’engin est défoncé, certaines parties ne tenant qu’avec de la corde, le clignotant gauche ne marche plus (elle doit sortir son bras pour faire signe), et il n’y a pas la clim. Par contre les stickers « Obama » décorent plutôt bien l’arrière du véhicule, donnant un peu de sourire à ce charmant tas de ferraille.

A l’intérieur, il fait la chaleur d’un four au soleil, voir même un peu plus. J’ai pris pour pari avec Renée de réussir à faire cuir des œufs au bacon sur son capot. Et j’ai clairement toutes mes chances…

Nous nous mettons en route, fenêtres grandes ouvertes pour pouvoir respirer. Rapidement, toute conversation devient impossible à cause du bruit du moteur et du vent qui s’engouffre dans la voiture. La circulation dans Austin est plutôt intense, et Renée a souvent besoin de passer la tête par la fenêtre pour hurler quelques « Asshole ! » « Jerk » ou, plus rarement « Mother fucker ! ». Être en voiture avec une Américaine est une véritable leçon sur les subtilités de la langue de Shakespeare, et je me prend rapidement au jeu (après tout, sans la pratique, on n’arrive à rien.)

Une fois sorti de la ville, le paysage qui s’offre à nous est typiquement américain : une route qui s’étend vers l’infini, avec très peu de vie aux alentours. Quelques forêts, fermes, et rares villages ponctuent notre trajet que vient éclairer d’un doux rougeoiement un couché de soleil dément. S’il n’y avait pas cette foutu radio à moitié pété dont les aigus me vrillent les oreilles, la scène serait parfaite.


En revanche, une fois la nuit tombée, il n’y a plus grand chose à admirer. Nous nous arrêtons 2 heures plus tard pour casser la croute. Surtout pour moi en fait, vu que Renée a déjà mangé un Hamburger en roulant (en m’expliquant bien les règles de dégustation d’un hamburger à 80km/h). Nous sommes sur le parking d’un fast food, ou la serveuse très fatigué, après un conseil de ne jamais travailler dans un tel restaurant, me tend le hot dog commandé. Mon tout premier.

Je me souviens de ce moment comme si c’était hier… et là j’étais parti pour écrire une description exagéré de la découverte gustative de ce premier hot dog, mais certains d’entre vous ont l’esprit tellement mal placé que mes métaphores saucissesques n’auraient sûrement pas manqué d’attirer les commentaires les plus salaces de votre répertoire. Et ça, voyez-vous, je ne peux l’approuver sur ce blog. Bande de gros dégueulasse.

Passons donc sur ce qui aurait pu être un exercice de style sur la découverte de nouvelles saveurs (franchement hein, si seulement vous appreniez à vous contrôler on aurait pu s’amuser un petit peu ici). Disons simplement que c’était bien bon, et que cette première expérience de saucisse fourrée m’aura donné envie d’en connaître d’autres, de toutes tailles et saveurs (bien qu’il soit connu que concernant les hot dog, ce n’est pas la taille qui compte, mais le goût).

Nous reprenons ensuite la route, mon estomac à la limite de la gueulante (même si le hot dog était bon, il reste semblable à un convois exceptionnel sur une route lors d’un retour de weekend), et l’amie de Renée chargée de nous héberger, Hayley, nous informe que sa mère ne cuisinera pas ce soir, mais qu’elle nous a acheté 4 pizzas (pour 3) et que même si on a pas faim il serait de bonne mesure de se forcer.

L’idée seule de manger une pizza maintenant n’étant pas loin de me faire plonger dans une dépression nerveuse, je me prépare 36 scénarii pour refuser poliment une telle gentillesse. Le plus crédible d’entre eux étant que les français sont allergiques aux pizzas.

Nous arrivons à destination sur les coups de 22h30. La mère d’Hayley nous accueille dans un cri de joie (elle connaît bien Renée). Elle est en pyjama, et a attendu que nous arrivions avant d’aller se coucher. Elle m’accueille comme faisant parti de la famille, avec une grande accolade (le fameux « hug » Etasunien, qui remplace la bise française pour les gens qui se connaissent). Elle s’efforce également à prononcer mon prénom à la française, apparemment briefé par Hayley durant la soirée, ce qui donne approximativement « wouincent ! », mais l’effort me touche beaucoup (j’ai rapidement abandonné l’idée de me présenter à la française, devant les mines perplexe de mes interlocuteurs, et prononce mon prénom à l’américaine « Vinecèn’t », en revanche quand on me demande mon nom de famille, ça devient plus complexe, vu qu’il ne se prononce pas à l’américaine, donc en général je leur offre une version française, puis devant leur incapacité à le répéter je leur traduit simplement « The flus »).

Une petite parenthèse sur les prénoms. Aux Etats-Unis, je rencontre beaucoup plus de monde qu’en France, l’excès de sociabilité étant implanté dans leur culture (ou disons plutôt, ce qui en France passerait pour un excès de sociabilité, vu que pour eux, nous sommes froids et prétentieux… et quand je compare Paris à Austin, globalement je suis pas loin de rejoindre leur avis). Bref, beaucoup plus de monde à rencontrer. Et j’ai toujours été nul pour retenir les prénoms, ce qui pose un réel problème ici. Par exemple lorsque le deuxième jour j’ai rencontré un de mes voisins, où on s’est juste croisé en se souhaitant mutuellement la bienvenue, on a également échangé nos prénoms. Mais lorsque le lendemain, en me croisant, ce dernier me lance un « hey salut Vincent ! », je suis surpris du fait qu’il se souvienne du prénom, et honteux de ne pouvoir répondre qu’un « hey salut… voisin… what’s up ? ».

Depuis, j’essaye d’associer à chaque nouveau prénom un rappel mnémotechnique. Vu qu’un quart des gars que je rencontre s’appellent Jason, et un autre quart David, je n’ai qu’à me rappeler que ces bonhommes vont dans telle ou telle colonne. Mais quand il s’agit de Hayley par exemple, cela devient un peu plus complexe, et je dois alors m’imaginer entrain de saluer le célèbre Bruce Lee pour m’en rappeler… « Hey Lee ! ». Etrangement, plus c’est stupide, et plus ça marche. Depuis, je deviens un tueur sur le souvenir de prénom (ça veut dire que j’en retient à peu près un tiers, ce qui est énorme pour moi, surtout vu le nombre de rencontres).

Continuons de profiter de cette passionnante parenthèse pour parler un petit peu du « how are you ? ». Cette question que toute personne a normalement apprise dans ses jeunes années se révèle ici un petit problème, pour la simple raison que les américains l’utilisent tout le temps. C’est à dire que tout inconnu que l’on croise et qui nous dit bonjour enchaine automatiquement par « how are you ? ». Imaginez-vous par exemple à la caisse de Carrefour, et cette caissière a l’air déprimée que vous n’avez jamais vue auparavant démarre la conversation par « Salut ! ça va ? » … « Oh, salut ! … ça va bien, merci… » et la politesse voudrait certainement que j’enchaine par « et vous ? », sauf que moi, je m’en fout un peu de savoir si elle va bien ou pas, j’ai juste envie de payer mon lait et d’aller me coucher. Et si jamais elle me répond « pas vraiment, c’est pas trop ça en ce moment, mon mec m’a quitté pour cette grognasse aux gros seins ! J’y crois pas, qu’est-ce qu’il peut bien lui trouver ! Ok j’ai peut-être pas une aussi grosse poitrine, mais c’est pas ça qui compte, pas vrai ? J’veux dire, la beauté d’une femme réside surtout à l’intérieur, mais cette nana a l’intérieur d’un œuf pourri de 8 mois ! Vous êtes pas d’accord ?! »

Et là, la politesse voudrait certainement que je dise « si si, olala ma pauvre dame ! Qu’est-ce que je vous plains ! », sauf qu’évidemment, la seule réponse correcte dans ce genre de situation serait « J’sais pas trop… j’veux dire, quand même… les seins, c’est important… » Et là je vous laisse imaginer le scandale. A ce niveau je préfère encore la France où on peut garder ses préférences sexuelles pour soit.

Mais heureusement, comme disait notre coordinatrice des échanges étrangers, il est fort rare qu’à la question « how are you ? » quelqu’un répondre « arh ! j’ai eu une journée de merde ! j’te raconte ? ». La réponse attendue reste bien évidemment « bien, merci ». Ce qui surprend un peu également est que cette phrase est tellement considérée comme un salut, que parfois les gens ne répondent pas, ou n’écoutent pas la réponse. « How are you ? » « Oh I’m fine, thank y… » mais le bonhomme a déjà continué son chemin.

Bref, fermons ici cette petite parenthèse de culture américaine, pour retrouver Hayley et sa maman. Hayley m’offre également un chaleureux « hug » (et si ces messieurs connaissaient la dite Hayley, ils en seraient jaloux et aimeraient bien que le hug soit instauré dans la culture française). Nous nous connaissions de nom, par Renée interposée, mais elle m’accueille comme un véritable ami. Inutile de dire qu’être reçu de la sorte par une famille après avoir traversé un océan et être sous un effet de décalage horaire émotionnel, ça fait un bien fou. Je suis apparemment ici chez moi, et chez moi, bah c’est une énorme villa avec piscine et jacuzzi. Inutile de vous dire que je suis content d’être là, ici, chez moi.

Par chance, la mère d’Hayley (dont je ne me rappelle pas le prénom… voyez l’efficacité de mes moyens mnémotechniques…) n’attend pas de nous voir engloutir les pizzas avant d’aller se coucher, ce qui me permet de tirer au flanc et simplement regarder mes deux compagnes se rassasier. Anxieuse de me voir manger, Hayley me propose toutes sortes d’aliments qui semblent jaillir de la corne d’abondance qu’est leur frigo américain. Lorsque je lui demande des fruits, elle m’offre un quart de pastèque. Le chant de victoire des ouvriers de mon estomac résonne jusqu’à ma cavité buccale. Etrangement, c’est un chant russe.

Bientôt minuit à l’horloge, il n’est pas trop tard pour un bain dans la superbe piscine construite par le beau-père d’Hayley, ainsi que tout ce qui va être notre chambre d’ami et le jardin d’une manière générale. C’est mon premier bain des vacances, et honnêtement, même en Malaisie je n’ai pas connu une eau aussi chaude. Lorsqu’il fait entre 35 et 40 tous les jours, l’eau reste à une température constante de 32 à 34 degrés. Au milieu de la nuit, ce n’est pas dérangeant, à l’inverse de la journée où l’on cherche plus à se rafraichir. Ici, c’est juste parfait, et nous détendons deux bonnes heures, jusqu’à avoir la peau des doigts aussi vallonné que les routes de Corse.


Renée et moi prenons ensuite place dans la chambre d’ami, qui est une sorte de salle des fêtes au thème de la plage paradisiaque. Il faut savoir que la famille d’Hayley possédait une maison de campagne sur l’une des plages du Texas (pas si paradisiaque que ça la plage, celles du Texas étant réputés pour être dégueulasses… et la fuite de pétrole dans le golfe du Mexique n’a pas exactement été l’événement idéal pour changer cet état de fait). Bref, le fait est que j’ai employé le passé pour parler de leur maison, tout simplement parce qu’après le passage de Ike, ouragan qui a fait des ravages il y a deux ans de cela, ils ont retrouvé leur maison quelques kilomètres avant sa position d’origine. Attristés de ne plus avoir de plage, ils ont décidé de se construire leur propre « private beach » dans leur jardin, et le résultat est vraiment impressionnant… et certainement mieux que l’original.

Nous nous écroulons de concert à 3h du matin, et sommes réveillés par le beau-père d’Hayley dans la mâtiné, alors que ce dernier est entrain d’effectuer de nouveaux travaux d’aménagement avec son équipe de jardiniers. Une fois rendu dans la cuisine, nous découvrons que sa mère a acheté 4 différentes boites de 6 beignets. Nous sommes toujours 3. J’en mange un et hoche silencieusement la tête lorsque la salle des machines me prévient que c’est suffisant.

J’ai oublié de présenter le chien de la famille. Ce dernier, un petit gros (on dirait une boule) nommé Pig (« cochon », je n’ai jamais vu un chien porter aussi bien son nom), sourd de naissance, est l’un des chien les plus adorables qu’il m’ait été donné de rencontrer. Gros patapouf qui aime bien jouer tant qu’il n’est pas fatigué, qui ne s’entend pas aboyer et croit qu’il est menaçant alors qu’en fait pas vraiment, et qui ronfle comme mon père (désolé papa…). Lors d’une séance photo où je me suis allongé par terre pour avoir une contreplongée de l’adorable monstre, ce dernier s’est rué sur moi, cavalant de ses nombreux kilos sur tout mon corps avant de balancer un coup de langue sur l’objectif de mon reflex numérique, pour finalement finir sa course la truffe enfouie dans mon cou à la recherche de caresses.


Nous visitons dans l’après midi un vieux village américain préservé, mais clairement touristique. Il est vrai que je me sens par moment dans La Petite Maison dans la Prairie, en particulier près du vieux bureau de poste. J’y découvre également la véritable limonade américaine (qui, à la différence de la française, n’est pas pétillante, mais juste une eau citronnée… 1 dollar le litre, ce qui n’est pas de refus par cette chaleur, excellent pour s’hydrater). Nous enchainons ensuite par un Hard Rock Café dans le downtown de Houston, où trônent des guitares, vestes, accessoires ayant appartenus aux plus grands musiciens de pop rock. Impressionnant.

Mes compagnons s’en retournent ensuite dans leur banlieue, et je reste devant le café pour retrouver Hannah, avec qui je vais passer la soirée et la nuit, chez sa famille (eh oui, si vous avez suivis vous vous rappelez sans doute qu’elle était retourné à Houston pour retrouver sa famille.) Nous nous rendons dans un restaurant espagnol où un groupe est sensé jouer et danser du flamenco. Notre table est la première devant la scène, et la prestation du groupe est tout simplement magnifique. Trois musiciens (le père et ses deux fils) et une danseuse superbe dans sa grande robe à froufrous, les castagnettes aux mains. Je ne savais pas à quoi m’attendre en acceptant la proposition d’Hannah, mais la musique que ces trois bonshommes étaient capables de produire, accompagnés des pas de danse rapides et gracieux de leur compagne m’a pris aux tripes pendant toute la durée du spectacle, à un tel point que le père a remercié l’enthousiasme de la première table (nous y étions 4 à applaudir à tout rompre).

Le repas terminé, nous nous dirigeons dans la ville de banlieue où réside la famille de mon amie, Sugarland. C’est une banlieue riche, et avant de nous rendre au quartier résidentiel, nous restons un moment dans le centre ville à savourer une glace dans une boutique où le client se confectionne lui-même la glace de ses rêves, puis paye ensuite au poids.

Hannah ne connaissant que trop bien le centre, elle m’annonce de but en blanc qu’il n’y a rien d’intéressant à y faire, à part peut-être quelque chose de pas vraiment commun…

Ma curiosité piquée, elle m’emmène dans l’avenue principale et m’ordonne d’avoir l’air le plus naturel possible… tandis qu’elle nous fait rentrer dans l’hôtel le plus luxueux de la ville. Notre style vestimentaire étant en dessous de la normal, nous devons avoir l’air parfaitement à l’aise dans l’immense hall de l’hôtel, et nous diriger comme si nous savions où nous allions, à savoir vers l’ascenseur. Ne possédant pas de clef, nous ne pouvons pas actionner ce dernier, et nous attendons donc, cachés, qu’un client monte dans sa chambre. L’un d’entre eux, un peu éméché, se pointe alors et nous permet de nous rendre jusqu’au 3ème. Nous montons les 6 étages restant par l’escalier, et poussons la lourde porte marquée d’un panneau « strictement interdit au public » nous conduisant au toit de l’hôtel.

Du haut de ces 10 étages, la vue de Houston et ses banlieues est magnifique, surtout de nuit. Nous apprécions un moment le panorama, puis Hannah m’annonce que ce n’est pas fini. Nous traversons le toit, enjambant tuyaux et machines en tout genre, pour arriver devant la petite tour de l’hôtel servant d’accroche à l’énorme panneau lumineux contenant le nom de l’hôtel en lettres de feu. Derrière cette tour, haute de 15 mètres sur 10 mètres carré de base, se trouve une échelle de barreaux accrochés au mur. Hannah me les montre du doigt en souriant devant ma mine déconfite.

Ok, je vous prend à l’accrobranche n’importe quand, ça me dérange pas de me jeter dans la vide à 30 mètres du sol accroché à une corde, mais devant une échelle de 15 mètres non sécurisé, j’avoue avoir les pétoches. Cependant, comme le dira Hannah un peu plus tard, faut vraiment le vouloir pour tomber d’une échelle (accrochée au mur, je répète) à moins d’être sujet à un sérieux vertige, ce qui n’est pas mon cas.

Un par un, les barreaux défilent sous mes pieds, tandis que je monte lentement. J’arrive finalement au sommet, et me tourne pour attraper Hannah dès qu’elle est à portée. Je me rends compte que je n’ai pas tant peur pour moi, mais surtout pour elle.

Nous réalisons alors que les rebords du toit ne sont hauts que d’une vingtaine de centimètres. Hors de question de se déplacer debout, la distance jusqu’à la rue arrive même à me donner le vertige. Nous rampons donc à 4 pattes jusqu’au bord opposé, et nous asseyons là, assez proches pour se sécuriser l’un l’autre, et apprécions alors cette vue fantastique deux heures durant, en parlant de tout et de rien, mais bien conscient de l’extraordinaire moment que nous sommes entrain de partager. Lorsque la police patrouille sur le parking de l’hôtel, vérifiant que personne ne s’est incrusté sur le toit pour fumer, ou pour d’autres activités aux performances un peu plus physiques, nous ne prenons même pas la peine de nous aplatir : il n’y a que la nuit noire derrière nous, aucune chance pour nos silhouettes de se découper sur l’horizon.

Au bout d’un moment je réalise que le sol est couvert d’une couche de poussière noire qui n’a pas manqué de recouvrir chaque parcelle de notre corps en contact avec lui. Les pieds d’Hannah semblent porter des chaussures montantes, alors que cette dernière est pieds nus.

L’heure tourne, et nous nous décidons finalement à rentrer.

Monter une échelle non sécurisée est une chose, la descendre en est une autre. En particulier le fait de se retourner par 15 mètres de vide. J’insiste pour passer le premier, histoire de ne pas l’emporter avec moi si je chute. Bien évidemment (et heureusement) je ne chute pas. Une fois en bas, je me place de manière à essayer de la rattraper si elle tombe. Mais ce que je n’avais pas prévu est que sa robe, par 15 mètres de haut, m’offre une vue imprenable sur une vue interdite. Partagé entre la gêne et l’angoisse, j’essaye de deviner plus que regarder comment elle s’en sort, puis décide que pour une situation pareille je peux mettre ma gêne de côté et être prêt à la rattraper en cas de problème (elle portait notamment des sandales à l’attache précaire, ce qui m’inquiétait particulièrement). Aussi, je me voyais mal contacter ses parents pour leur annoncer « désolé, votre fille est décédé d’une chute parce que j‘ai pas osé regarder sa culotte ».

Et puis bon, c’est pas comme si c’était désagréable à contempler…

Restait à sortir de l’hôtel sans se faire repérer… sachant que nous étions couverts de suie des pieds à la tête (littéralement ; on se passe souvent les mains sur le visage sans réfléchir, et nous ressemblions plus à un commandos d’intervention qu’à deux étudiants venant de s’incruster sur un toit). Nous descendons les escaliers jusqu’au ré de chaussé, et profitons de la diversion d’un concert pour foncer dans les toilettes. Commence alors une séance de toilettage intense, pour retirer un maximum de dégâts. Ce sont les jambes d’Hannah qui ont le plus pris, et tandis que nous nous acharnons à les rendre plus présentables, l’idée nous traverse que quelqu’un pourrait rentrer dans les toilettes à ce moment. La vue qui s’offrirait à lui serait des plus étranges…

Nous réussissons à quitter l’hôtel sans problème, et prenons la direction de sa banlieue. J’en profite pour l’engueuler copieusement sur sa conduite dangereuse. J’avais déjà vu quelqu’un téléphoner au volant, mais jamais écrire un sms. Avec les deux mains. En manipulant le volant avec la jambe.

Nous arrivons dans son quartier résidentiel. Encore une fois, un quartier riche, possédant un club sportif où il est possible de jouer au golf, tennis, et faire de la natation dans la superbe piscine. De nuit, elle est clôturée, mais une main passée à travers permet de trouver le verrou. Pas besoin d’escalade pour entrer furtivement ici, et le bain après toute cette saleté nous fait un bien fou.

Nous rentrons nous coucher sur les coups de 3h, en essayant de ne pas réveiller ses parents. Mais la mère dormait dans la chambre d’Hannah pour attendre notre retour… je ne l’ai rencontré qu’une fois sur Paris, mais m’est avis qu’elle est assez protectrice. Très sympa cependant, elle m’installe dans la chambre d’ami, et nous informe qu’elle dormira dans la chambre du frère pour cette nuit (juste à côté des nôtres donc… Hannah et moi ne sommes pas ensemble, mais sa mère semble vouloir s’en assurer).

Le lendemain je suis invité à un brunch dans le club du quartier (imposant bâtiment à côté de la piscine, où peuvent être organisés les gros évènements, et où chaque dimanche est servi un brunch gratuit pour les adhérant. On me fait passer pour un membre de la famille, et je peux déguster mes premiers tacos aux œufs et bacon gratuitement). J’ai ensuite dû faire semblant de découvrir la piscine lorsque ses parents me l’ont présenté, jeu où je m’en suis apparemment brillamment sorti. En même temps, la découvrir de jour est déjà plus impressionnant que de nuit, il a donc été assez simple d’être impressionné.

Retour chez elle, et ses parents proposent de me prêter lit, étagère, bureau et autres accessoires pour l’année, vu que la semaine prochaine ils apportent toutes les fournitures d’Hannah. Je ne m’y attendais pas du tout, et j’ai été ravi d’apprendre qu’il s’agissait du lit sur lequel j’ai passé la nuit, particulièrement confortable.

Encore une fois je suis impressionné par la gentillesse des personnes que je rencontre. A partir du moment où j’ai besoin d’aide, il y a toujours quelqu’un pour lever frénétiquement la main au premier rang dans le but de tout faire pour me rendre la vie plus facile.

Ce qui m’amène à la dernière histoire de cet article (je m’adresse aux rares survivants qui auront passés l’épreuve du toit de l’hôtel, bravo à tous, vous avez tenu plus loin que personne avant vous… vous êtes ma fierté.)

Après avoir assisté à une pièce de théâtre d’étudiant dans le grand théâtre de Houston (où Hannah avait déjà eu la chance de voir l’une de ses pièces joué), nous nous rendons à la gare routière de Houston. Lieu mal famé où les SDF tiennent tête aux drogués pour savoir qui sera le groupe le plus nombreux. Les sirènes de police et d’ambulance déchirent le silence provoqué par le manque de circulation. Bref, inutile de vous dire que lorsqu’Hannah disparaît avec sa voiture, je ne me sens pas très en sécurité.

Une fois mon ticket acheté, j’attends mon bus dans une grande salle d’attente où sont diffusés des matchs de football américain. J’y prête peu attention, assez fatigué par la journée, lorsqu’une grand-mère à la recherche d’un interlocuteur engage la conversation. J’y répond plus par politesse que par intérêt, elle a surtout envie de parler d’elle. La conversation s’échoue au bout de quelques minutes, lorsque nous devons rentrer dans le bus. La dame s’assied cependant derrière moi, ce qui m’ennuie un petit peu : je n’ai pas envie de passer 3 heures à l’entendre parler de sa petite fille, surtout qu’elle parle très fort. Mais je fais un rapide méa culpa, mis à part quelques remarques amusantes, elle n’essayera pas d’engager de conversation, me permettant de somnoler après l’écriture de la journée passée. Puis au bout d’une heure, alors que nous approchons de 20h, la salle des machines demande à bosser, mais je n’ai rien à leur mettre sous la dent. Commence alors une période désagréable ou le trou dans mon ventre semble d’agrandir à chaque seconde qui passe.

Je sent alors une main me tapoter l’épaule, et découvre la grand mère entrain de me tendre sandwiches, cookies, canette de coca… « je sais que les étudiants ont tout le temps faim, et moi je ne pourrais pas finir. Fais-toi plaisir chéri. » Je n’en reviens pas, et la honte me monte aux joues pour les pensées négatives que j’avais eu à son égard. Cette grand-mère vient de devenir ma nouvelle meilleure amie !

Je la remercie chaleureusement, toujours incrédule de ma chance, et me jette sur la divine nourriture. Même pas de piège à ce niveau-là, c’est excellent.

Une fois arrivé à Austin, à 22h, je l’aide à descendre sa valise, et elle me présente sa fille venue la chercher, laquelle remarque avec intérêt que je parle français. Et me propose rapidement un emploi : faire partie d’un jury chargé de noter des américains voulant devenir prof de français, horaires flexibles et bien payé.

Je commence à sérieusement penser être entrain de rêver lorsqu’elles me ramènent en voiture, m’évitant d’attendre un autre bus une demi heure.

Je ne sais pas ce que j’ai fais pour mériter tout ça, probablement rien, et c’est ça qui m’hallucine le plus. Cette gentillesse, un peu partout autour de moi, qui offre sans rien attendre en retour.

C’est là que je réalise que ces américains, malgré l’idée que je me faisais d’eux auparavant, ont finalement beaucoup de choses à m’apprendre…

1 commentaire:

  1. Merci d'égayer et de réchauffer mon petit-déjeuner Vincent!
    En effet, il faut savoir sauter sur les fois où le 'how are you' est une vraie question... (la même chose en Irlande). Un instant j'ai cru que la grand-mère avait commencé à te parler de ses seins!
    C'est définitif, je ne pourrais pas vivre au Texas: trop chaud! Mais ma facilité folle à retenir les prénoms me laisse penser que je devrais faire un tour aux USA.
    xxx

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