dimanche 3 avril 2011

The Spartan Race


The Spartan Race, ça veut dire quoi ? Vous êtes sans doute une poignée à ne pas maitriser assez bien la langue de Sheskpi… de Shakaisp… de Shakespir… à ne pas maîtriser assez bien l’anglais ou à n’avoir pas vu le film 300 de Zack Snyder pour comprendre ce titre. Littéralement, je le traduirais par « La Course Spartiate », référence aux célèbres antiques guerriers grecs de Sparte, reconnus comme étant les meilleurs combattants de leur époque. Mais comme tout bon fan de 300 qui se respecte, je ne donnerais pas à mon article une traduction française, parce que bon, hein, on commence comme ça et on fini par donner des coups de latte au premier venu menaçant son pays d’esclavage et de mort en criant « C’est cela Sparte ! », et personne ne veut en arriver là.

Avant de parler de cette fameuse course, je pense qu’il serait intéressant de faire une introduction sur le film 300 et son histoire, car mon esprit affûté me chuchote que les goûts cinématographiques de certains de mes lecteurs les plus fidèles ne les ont pas forcément guidé vers ce chef d’œuvre testostéronesque.

300 est l’adaptation cinématographique d’une bande dessinée de Frank Miller racontant la célèbre bataille des Thermopyles dans laquelle les Grecs défendirent leurs pays contre l’invasion Perse menée par l’enculé l’empereur Xercès. Historiquement, la bataille est restée célèbre car seuls 7000 Grecs sont venus défendre la « passe » des Thermopyles, chemin entre les montagnes large de quelques mètres seulement par lequel devait passer l’armée Perse, qui comptait plusieurs centaine de milliers d’hommes. Au bout de 3 jours de bataille, par un acte de trahison, les Perses découvrirent un passage les permettant de contourner la passe, ce qui rendait toute défense impossible. Les guerriers Grecs s’enfuirent donc. Tous, sauf les 300 guerriers Spartiates et leur roi, Léonidas (enfin, historiquement il aurait aussi forcé les quelques Thébains et des guerriers d'une autre ville à rester, pour que ces villes entrent en guerre contre la Perse... mais bon, on va dire qu'il n'y avait que les 300 Spartiates, parce que c'est plus cool). Léonidas n’ayant pas reçu l’autorisation de mener son armée à la guerre (les prêtres de sparte considérèrent que se battre durant les fêtes de l’été était de mauvaise augure… cette bande de branleurs !), il décida donc d’y amener sa garde personnelle composée des 300 meilleurs guerriers de Sparte. Les guerriers Spartiates se battirent jusqu’à la mort, et opposèrent une telle résistance à l’armée de Xercès que ce dernier, fou de rage, démembra le corps de Léonidas dans le but de l’humilier autant qu’il le fut lui-même. Mais la mort du roi de Sparte, au lieu d’être prise comme un avertissement comme il l’espérait, incita plutôt la ville à partir en guerre, cette fois-ci avec la totalité de son armée, et en compagnie d’autres armées Grecques. Et cette fois, ils bottèrent virilement le précieux cul de Xercès.

300 raconte cette histoire en se concentrant uniquement sur les 300 guerriers Spartiates et leurs valeurs morales « Pas de retraite. Pas de reddition. Jusqu’à la mort. » Tout en se battant en slip en cuir, uniquement vêtu d’une cape rouge, d’un casque, et d’un bouclier pour les protéger, car les mecs ils sont tellement trop bon qu’ils ont même pas besoin d’armure ! Bref, ce film est vite devenu une oeuvre culte dans notre petite bande d’amis, et très vite dès qu’un challenge un peu plus dur que d’ordinaire se présentait à nous, nous nous mettions dans la peau d’un guerrier Spartiate, poussions le célèbre « AHOU ! », cri de guerre du film, et chargions tête baissée dans la masse de défi. Et toujours, nous en ressortions victorieux.


La bande annonce de 300

Aussi, lorsque j’ai entendu parler de cette course directement liée à la légende Spartiate et au film de Zack Snyder, j’ai eu du mal à contenir mon excitation. Cette course n’est pas juste une course, c’est une épreuve supposée nous pousser à nos limites, c’est un défi de 5 kilomètres parsemés d’obstacles que seuls de vrais guerriers Spartiates auront le courage de franchir, c’est un véritable truc de ouf !

Vous pouvez même regarder la vidéo qui m’a fait découvrir la course, un avant goût de ce que je vais vivre dans les prochains paragraphes de cet article.



Plutôt intense, non ?

Je ne vais pas participer tout seul. L’amie qui m’a fait découvrir la course, Maggie, sera là, ainsi qu’un de ses ami sportif : Frank. La colloc’ de Maggie, Heather, sera également présente, tout comme le père de cette dernière pour prendre des photos. La mère de Maggie sera là pour le soutien moral.

Les Partants, de gauche à droite : Heather (qui porte un tee-shirt blanc...) Maggie, votre blogger préféré, Frank.


Il y a différents types de courses, mais seule la plus petite prends place à Austin (5 kilomètres donc), la plus grande étant longue de 48 heures (sans surprise, moins de 20% des participants la finissent.) J’étais un peu déçu de devoir choisir la plus courte (il y avait d’autre courses intermédiaires). Mais j’étais un abruti (pensée d’après course). Heureusement que j’ai choisi la plus petite ! La première des raisons est que je ne cours jamais : j’aime pas ça. Autant j’adore le sport, autant courir pour courir, c’est pas mon truc (j’ai l’endurance d’un hareng fumé, ce qui n’est pas franchement idéal pour une course d’endurance). Je déteste courir, mais j’adore le défi que peut poser un obstacle, c’est ça plus que tout qui m’a motivé à faire cette course. Je misais donc sur le fait que les obstacles allaient ralentir le rythme, et que j’allais pouvoir m’y reposer. Bien sûr, j’avais tort.

Petite précision : je ne cherche pas à gagner, loin de là. Finir la course est le seul objectif en vue ici, je n’ai pas le physique pour prétendre à une victoire quelconque. Passer la ligne d’arrivé fier de moi sera une victoire en soit. C’est d’ailleurs pour ça que chaque finisseur se voit offrir une médaille. Une médaille qui, selon certaines mauvaises langues, ne ressemble pas à un casque grec mais à un Transformer… c’qu’il faut pas entendre… Bon, on va quand même essayer de pas la passer dernier, cette ligne d’arrivée, hein, mais on va pas non plus être trop optimiste.

D-Day arrive enfin. Le groupe vient me chercher en voiture à 9 heures du mat’ (le site de la course est à une heure de route d’Austin.) En chemin, nous nous interrogeons sur toutes les différentes manières dont nous allons probablement mourir durant cette course. Nous mettons également au point une stratégie d’attaque : dès qu’il y aura un trou, un petit ravin, quelque chose avec une pente, il sera de notre devoir d’y précipiter les coureurs nous entourant à coups de pied en hurlant « THIS IS SPARTA ! »

Nous arrivons au ranch ou aura lieu la course une heure avant le départ, comme demandé par les organisateurs. Il y a 8 vagues de partants, une par demi-heure, soit environ 1600 participants au total. Notre course compte entre 250 et 300 partants, majoritairement hommes. La moitié de ces derniers sont torse nu, affichant une musculature digne de dieux grecs, les autres ressemblent tous à des coureurs confirmés. Une partie d’entre eux s’étirent et s’échauffent, les autres discutent. Nous apprenons par le biais de conversations que nombre d’entre eux se sont entrainés de longues semaines (voir de longs mois pour certains) pour se préparer à cette course. Ah…

Je retire les mains de mes poches, et commence à m’étirer, l’esprit un petit peu plus inquiet (mais franchement pas trop, je crois que sur le moment je n’avais toujours pas réalisé que 3 miles ça faisait 5 kilomètres… non pas que 5 kilomètres cela soit beaucoup… quand on marche… ou en voiture… mais quand on cour ? haha…).

Bref, je commence à revoir mes estimations concernant la « facilité » de cette course (le fait que cela soit la plus courte a étrangement automatiquement fait l’association avec « simple », mais heureusement elle n’était pas simple, car sinon il n’y aurait aucune gloire, et bien peu d’intérêt pour un article de blog).

Maggie m'accrochant mon numéro dans le dos. 4460. Un beau numéro, convenons-en.


Un crieur de l’organisation nous explique le principe des obstacles : nous n’avons droit qu’un un seul essai par obstacle, et si nous ratons, nous devons faire 30 pompes sautées (une pompe, on se lève, on saute, on redescend, une autre pompe, etc), et ce pour chaque obstacle de la course. Il y a une dizaine d’obstacles, de quoi risquer d’en rater quelques-uns. Ça rend déjà la chose plus excitante : pas le droit à l’erreur. Des bénévoles seront présents à chaque obstacle pour nous surveiller et nous imposer les pompes en cas de ratage.

Nous observons les coureurs de la précédente course arriver au fur et à mesure, et pouvons commencer à nous faire une idée des obstacles : un mur d’escalade en bois en longueur et non en hauteur (rien de bien sorcier vu d’ici), du tir à la lance (comme les guerriers de l’époque…) encore une fois ça ne m’inquiète pas plus que ça, mais je ne vois pas une seule personne de la trentaine de participant réussir à planter sa lance, ce qui me laisse penser que les lances sont possiblement dures à manier. L’obstacle suivant est un mur de bois lisse légèrement incliné que les coureurs doivent franchir à l’aide d’une corde. Bon... enfin le dernier obstacle est plus excitant : juste devant la ligne d’arrivée se tiennent deux colosses en tenu spartiate munis de cotons tiges géant avec lesquels ils maravent la gueule des coureurs. Aaah, ça j’aime ! Je suis entrain d’envisager la meilleure façon de plaquer le moins costaud des deux au sol, histoire de faire quelque chose d’orignal, lorsqu’on nous demande de prendre place pour le début de la course.

Nous prenons donc place, excité, au milieu du plotons. Un mec habillé en Spartiate, un micro à la main, nous motive durant une bonne minute à coups de citations viriles. Le hurlement de la foule, « AHOU ! », juste avant le coup de canon donnant le signal de départ me donne des frissons.

Nous nous élançons à petite foulées pour ne pas marcher sur les coureurs nous précédant. J’ai oublié de préciser qu’au vu des obstacles visiblement faciles de la fin de course, la mère de Maggie, en bonne forme, a décidé de participer, ce qui me laisse plus que perplexe : bien sûr les obstacles ont l’air assez simple, mais on a tous vu la vidéo… enfin, je suis tout de même impressionné qu’une quinquagénaire bien mûre prenne place dans la même course que moi. Elle est visiblement la plus âgée des participants.

Au bout d’une centaine de mètres, je me détache de Maggie, sa mère et Heather pour suivre Frank qui se fraye un chemin à travers les participants. Nous grignotons place sur place jusqu’à nous placer dans le tiers de tête. Arrive alors le premier obstacle : un mur de feu (ou, devrais-je dire, un muret… qui pouvait être assez haut par moments quand même). Rien de bien dangereux, mais c’est excitant, et un bon premier obstacle. Je le saute joyeusement, me faisant arroser au carsher en même temps (sans doute pour éviter toute mauvaise brulure). Je découvre quelques pas plus loin une marre de boue, elle aussi alimentée au carsher. Pas moyen de sauter par-dessus, je m’élance donc dedans, et me retrouve en quelques secondes les pieds trempés de boue jusqu’aux mollets. Les organisateurs nous ayant prévenu de prendre de vielles pompes, mes chaussures sont bien évidemment trouées, et c’est donc de l’intérieur que je sens la boue couler sous mes orteils. Amusant, certes, mais avoir les pieds glissant (dedans et dehors) dès le début d’une course est moins excitant qu’il n’y parait.

Ça revient au même que de sauter par-dessus un feu de camp. Notez l'air paisible de mon visage, on dirait presque que je dors.


Je continue de suivre Frank qui dépasse de plus en plus de monde. Je suis conscient qu’il n’est pas un coureur amateur, mais un bon semi pro, et que je ne pourrais en aucun cas continuer à le suivre à ce rythme. Mais tant que je me sens bien, autant en profiter. La respiration étant la clef de l’endurance, je prend le rythme que m’a appris ma mère lorsque je courais les cross du collège : deux inspirations rapides par le nez, deux expirations rapides par la bouche. Un rythme presque élégant. Le souvenir du cross en ramène également un autre : au cross, j’étais super nul.

Bon, on va laisser ce dernier souvenir de côté, je préfère me concentrer sur l’idée que je fais beaucoup de sport maintenant, même si le volleyball ne travaille pas forcément mon endurance.

Au bout de 5 ou 6 minutes, nous pénétrons dans un petit bois, et le premier véritable obstacle naturel se présente alors : une côte. Mais pas une petite côte de tapette hein, une vrai côte de malade ! Une côte de bâtard ! Une côte de porc !

Je la monte en trottinant doucement, et c’est là que j’ai laissé partir Frank. Je savais que si je forçais dans la montée, j’allais me déchirer les poumons, et ça serait fini. Au milieu de la côte je double quelques coureurs qui ont commencés à marcher. Je ne peux pas les blâmer, ça fait même pas dix minutes qu’on est parti et j’ai déjà un point de côté, ce qui m’énerve car mes jambes sont encore bien fraiches. Arrivé au sommet, ça redescend aussitôt. Je trottine doucement de peur de me tordre la cheville (c’est assez raide pour ne pas être reposant, il faut jouer les muscles des jambes pour ne pas se laisser emporter).

Et une fois en bas, c’est une nouvelle côte qui se présente, encore plus haute que la précédente, et couverte de caillasse. Le sol n’étant plus stable, je décide de la monter en marchant, tout en contenant un juron destiné à ces vicieux organisateurs qui essayent (avec succès) de nous épuiser dès le début de la course. De toute façon je suis crevé et marcher est une bonne excuse pour récupérer mon souffle. Mon égo se console à l’idée que presque personne ne m’a doublé durant cette monté : je ne suis pas le seul à être crevé. Cependant parmi le peu qui me sont passés devant se trouvaient une ou deux filles, et même si ce sentiment est probablement macho (en particulier vu que toutes les filles de cette course sont très certainement des coureuses confirmées) ça pique quand même un peu d’être laissé derrière.

J’arrive finalement au sommet, ou certains participants attendent leurs copains (et en profitent pour se reposer en les encourageant (engueulant pour certains, car il y a parmi nous un groupe de militaires pur et durs, venu gagner les galons de Spartiates). Ils me dépassent de façon assez déplaisante, avec le genre d’encouragement moqueur qui me donne envie de leur montrer de quel bois les français se chauffent. Bon, certes il fait super chaud, et je suis crevé, donc ça sera pour une autre fois.

Deux collines sont encore devant nous, que nous enchainons l’une après l’autre. Nous n’avons pas eu de distance plane depuis un long moment, et ça manque. Je continue de marcher vite dans les montés et trottiner doucement dans les descentes. Nous arrivons finalement au sommet de la dernière colline, et à partir de là ça ne descend plus. Nous continuons sur du faux plat pendant un moment (ce qui n’est pas reposant du tout), puis atterrissons sur un nouvel obstacle : une série de 6 murs de bois de ma taille. Il faut passer par-dessus deux d’entre eux, à travers deux autres (via des pneus) et ramper (ou plutôt rouler) sous les deux derniers, le tout aléatoirement. C’est plus fun qu’autre chose, je ne vois personne faire les pompes, mais les bénévoles chargés de surveiller les obstacles nous donnent le ton de ce qui nous attendra le reste de la course : nous nous faisons hurler dessus, exhortés d’aller plus vite, toujours plus vite ! Exactement à l’image des entrainement Spartiates, ce qui m’amuse beaucoup.

Je reprend ma course, plus fatigué par les obstacles que je ne veux l’admettre : en temps normal, passer ces murs de bois accélèrerait à peine ma respiration, mais le but des collines était de nous tuer dès les premières minutes, et c’est réussi.

Mais la volonté d’avancer prends le dessus, et je continue de courir, essayant de suivre la coureuse de devant, qui un rythme qui me convient, et un postérieur qui me motive. S’en suit une longue période de course dans la forêt, constitué de mini pentes, côtes, obstacles naturels. Un ensemble qui fatigue de plus en plus, et il devient de plus en plus dur de ne pas se résigner à marcher. Mon point de côté me déchire la poitrine, et j’accepte l’idée qu’à un moment ou un autre je vais devoir marcher pour le laisser passer.

Au bout de bien trop longtemps, l’obstacle suivant se présente : une série de planches planté dans le sol dans leur longueur, ne laissant dépasser que la tranche, haute de 20 centimètres. Chaque parcours est donc composé de 8 longues planches placées les unes après les autres de façon à zigzaguer, et le but est de marcher en équilibre le long de cet obstacle large de 3cm sans tomber. Bien sûr, n’étant perché que de 20 centimètres, ce n’est pas la chute que je crains, mais les 30 pompes sautées que cela entrainerait. Il y a une dizaine de parcours de planche, pour que plusieurs coureurs puissent les utiliser en même temps. Je monte doucement sur la première planche, et décide de prendre mon temps. J’ignore les cri des bénévoles qui me hurlent de me magner le cul, et souri en voyant que ceux qui essayent d’accélérer perdent l’équilibre et s’en vont tristement faire leurs pompes.

Nous ne sommes qu’une poignée à finir l’obstacle sans tomber, mais ce n’est pas ça qui me rend joyeux, mais le fait que j’ai largement eu le temps de récupérer mon souffle, et que mon point de côté a disparu. Je dépasse la vingtaine de coureurs faisant leurs pompes et me dirige vers l’obstacle suivant, situé à seulement quelques mètres de là.

Il s’agit ici de tracter en courant et à l’aide d’une corde un rocher super lourd sur 30 mètres aller, 30 mètres retour. Si on marche, on pompe. Je mêle mes grognements d’effort à ceux des autres coureurs, bien que ces derniers aient souvent une carrure qui fait de cet obstacle un jeu d’enfant. Frimeurs. Ce n’est pas le cas pour moi, et quand je le termine, je suis autant crevé que lorsque je suis arrivé en vu de l’obstacle des planches. Ils avaient donc prévu que les planches seraient reposantes. Bien pensé, bande d’enfoirés.

Je continue la course à travers bois, mon élégante respiration nasale/bouche s’étant à présent transformé en souffle de taureau en rut. Je me résous à marcher sur de courtes distances plutôt que de récupérer mon point de côté. Seul un ou deux coureurs me dépasseront durant ces instants de faiblesse, ce qui m’aide à ne pas trop culpabiliser.

Je n’ai aucune notion de la distance parcourue, juste que cela fait entre 20 et 25 minutes que nous sommes partis. Je n’ai également aucune idée de combien de temps il faut pour finir la course, ce qui rend dur de s’accrocher à un objectif. Il me reste juste l’idée fixe de continuer de courir, et chercher à chaque pas la volonté de ne pas m’arrêter.

De mini liens se créés avec des voisin d’un instants, ces coureurs aléatoires avec qui je partage 500, 700 mètres. Un encouragement, retenir une branche, prévenir d’une racine, d’une pente soudaine.
Gémir de concert à la vue du prochain obstacle.

Les barbelés. Je n’ai jamais rampé sous des barbelés, mais j’en ai toujours été curieux. Cela m’aide à positiver en commençant l’obstacle. Il y a assez de place pour deux personnes, je prends donc la place de droite. Il n’y a pas de boue comme je m’y attendais, mais c’est pire au final : le sol terreux est couvert de petits graviers qui griffent les bras, les jambes, le torse, et ce bien que je porte un tee-shirt. Au bout de dix mètres à ramper, j’ai perdu tout intérêt pour ramper sous des barbelés. C’est chouette un moment, mais là ça y est, le moment est fini, c’est nul ! Je veux que ça finisse ! Maintenant ! Tout de suite !


Là je souris parce que j'ai réalisé que j'allais être pris en photo dans cette position. Le sourire vient aussi du fait que je suis encore dans la première moitié du parcours, et encore un minimum excité par ce rampage sous les barbelés. Après, je souriais plus du tout.

Mais bien sûr ça ne fini pas. Je n’avais pas fais attention à la longueur du parcours, mais il se révèle faire entre 30 et 40 mètres. Ça paraît peu, mais ce sont quelques très longues minutes à ramper, chaque muscle commençant à bruler les uns après les autres. J’utilise mes bras quand mes jambes sont mortes, j’utilise mes jambes quand mes bras sont morts, j’alterne un bras une jambe quand je n’ai plus rien de fonctionnel. Et quand chaque membre de mon corps est trop fatigué pour faire le moindre effort, je commence à jurer, en français, en anglais, joignant ma litanie d’insultes à celle déjà longue de mes prédécesseurs. Les bénévoles nous gueulent toujours dessus, disant qu’on ralenti tout le monde. Ça nous donne une cible sur laquelle se défouler un instant, ce qui offre un léger regain d’énergie : la colère. Grace à cette dernière je continue, refusant de m’arrêter.

Maggie me racontera plus tard qu’elle s’est défoulée sur un bénévole qui lui disait que maintenant qu’elle avait passé la moitié, c’était plus simple (soit disant les barbelés étaient un peu surélevés… ce qui était faux, ou disons plutôt que je ne l’ai très certainement pas ressenti. Ajouté à ça le fait qu’après la moitié de l’obstacle le corps entier brule de douleur et les muscles refusent de fonctionner, ma chère amie a pris un plaisir bien mérité en traitant ce vil bénévole de menteur. L’anecdote me fait sourire, si j’avais adressé la parole à l’un d’eux j’aurais été bien moins sympa.

En attendant je suis toujours sous ces saletés de barbelés, rampant (ou plutôt me trainant) derrière l’homme qui me précède. J’étouffe la bouffée de désespoir qui m’envahi à la vue du parcours tournant sur la gauche : en me plaçant à droite, j’ai plus à parcourir que les autres. J’ai de la terre sur le visage, dans la bouche, dans les yeux, mais plus rien ne compte que la fin des barbelés, enfin en vue. Plus que quelques mètres, très certainement les plus long de ma courte vie. Je fini uniquement à l’aide de mes bras, en me hissant en avant, puis émerge enfin « à l’air libre ». Je prends le temps de jurer encore un peu, et de reprendre mon souffle, mais l’effort m’a laissé fébrile, et je sens les premiers signes de mon estomac se rebellant. Je trottine doucement pour laisser le temps à la nausée de refouler, puis reprend une allure plus rapide. L’épreuve la plus dure est derrière moi : tout ne peut qu’aller mieux maintenant.

Une pensée me tracasse : certains participants ayant couru les précédentes courses étaient en effet tachés de boue, certains plus que d’autres, mais aucun n’était recouvert de terre comme je le suis actuellement. Mon tee-shirt normalement gris est marron de boue, camouflé sous une épaisse couche de terre que ma transpiration a agrippé au passage. Mais être couvert de terre ne me gène pas : ça prouve aux yeux de tous que je me suis donné à fond. Et puis je ne suis pas le seul bien sûr, tous les participants sur lesquels je pose les yeux semblent sorti droit d’un terrier. Un terrier très très sale.

Le corps humain a une limite, et je sens que je m’en approche dangereusement. L’épisode des barbelés m’a sérieusement malmené le système interne, et un effort trop poussé mènera directement à la catastrophe : un français sur le bord du chemin entrain de vomir ses tripes. Et on veut pas ça.

Aussi, lorsque je découvre l’épreuve suivante, ce n’est pas la gène attendue qui m’assaille, mais un grand plaisir. Il s’agit d’un petit étang, de 30 mètres de diamètre. Un mec devant moi y rentre à petits pas, essayant de se mouiller le moins possible. Je suis crevé, plus sale que je n’ai jamais été, et déshydraté sous cette chaleur lourde (plus de 30°). Sans prendre le temps d’hésiter, je m’élance dans l’étang et saute dedans en prenant la célèbre position de « la bombe », arrosant au passage le coureur délicat, qui aura la décence d’en rire à l’instar des quelques spectateurs nous observant.

L’eau est délicieusement fraiche, mais je réalise très vite que se déplacer dans l’étang est plus dur que prévu : les pieds s’enfoncent de 30 bon centimètres dans la boue/vase à chaque pas, rendant l’avancé très lente. Ayant pied et de l’eau jusqu’à la taille, je décide rapidement de nager plutôt que de marcher jusqu’à l’autre bout (l’avantage de pas avoir peur de se mouiller, même dans une eau boueuse).

J’en ressort tout propre tout content, pour m’engager dans un tunnel de toile recouvrant la berge montant sur une vingtaine de mètres, dans lequel se trouve également la boue de l’étang, mais sans eau pour nager. Les bénévoles hurlent qu’ils faut monter ça en courant, sans quoi on pompe, sachant qu’on ne peut se déplacer au mieux qu’accroupi. Je m’élance donc, glisse une ou deux fois, et arrive au sommet dans une explosion de boue qui m’éclabousse tout le visage (et, je l’espère secrètement, celui des bénévoles me surveillant). J’ai les bras, les jambes et les mains recouverts d’une couche de boue liquide, ce qui m’empêche de m’essuyer le visage. A ce moment, en passant devant les spectateurs, j’aurais vraiment aimé qu’on me prenne en photo. Je dois ressembler à une bête des bois, couverte de boue, courant et s’exprimant d’une élégante respiration : « Rhaaa ! Rhaaa ! Rhaaa ! »

Le tunnel de sortie, abritant des milliards de tonnes de boue ! Et qui monte hors cadre sur la gauche.
Mais la course pour monter cette légère pente boueuse été l’effort de trop, et je sens que je vais vomir. Comme par hasard, on arrive à un endroit ou les spectateurs sont très présents (obstacles intéressants) du coup je continue de trottiner en engageant un débat virulent avec mon estomac pour le convaincre de se contenir jusqu’à un endroit plus tranquille. Sauf que 100 mètres plus loin se trouve un mur de bois. Un mur de bois de 8 pieds (2,5 mètres) qu’il faut franchir, seul ou avec l’aide d’autres coureurs.

Soyons clairs : en temps normal, je passerais ce genre d’obstacle les doigts dans le nez (quoi que pour être honnête j’aurais sans doute besoin de mes mains). Mais dans mon état actuel, avec mon estomac qui ne cesse de hurler « ARRETE DE REGARDER CE MUR OU J’TE GERBE DESSUS ! », c’est pas possible. Alors je détourne les yeux, et ralenti l’allure, jusqu’à ne plus pouvoir avancer, car le mur est devant. Je me sens fébrile et transpirant, et je connais cette sensation : elle précède un moment embarrassant, comme cette journée au parc de Saint-Denis où Andréa m’a fait travailler mon endurance, et ou après le sprint final j’ai dégobillé dans une poubelle, admiré par une petite gamine à deux mètres de moi qui me regardait avec des yeux écarquillés.

Il ne faut surtout pas que je m’arrête. Si je reste immobile ou m’assoit, ça sera pire. Je me met donc à marcher en cercle devant l’obstacle, reprenant mon souffle, contrôlant ma respiration, expliquant à mon estomac que, vraiment, les spectateurs ne s’intéressent que très peu à la teneur de mon petit déjeuné. Un volontaire s’approche de moi, l’air inquiet, me demandant si ça va. Je lui répond que oui, il rétorque que je suis blanc sous ma boue. Je le rassure d’un sourire et lui dis que je reprends mon souffle. Je regarde l’heure qu’il est, et souri en réalisant que ma montre est couverte de boue. J’imite des essuies glaces avec mes doigts, et prend note de l’heure, tout en n'ayant aucune idée de combien de temps il me reste à courir.

J’attends 3 longues minutes, pendant lesquelles les coureurs se succèdent devant moi. La plupart s’entraident pour monter le mur, certains essayent seuls. Beaucoup choisissent de faire les pompes.

Je ne veux pas d’aide pour le passer, comme je l’ai dis plus tôt ce genre d’obstacle est sensé être un jeu d’enfant pour moi. Lorsque je sens que la vague nauséeuse est assez lointaine pour tenter un effort, je prend l’élan que je pratique plusieurs centaines de fois par semaine depuis un an : gauche – droite/gauche et bondis en lançant mes bras en l’air, sauf qu’au lieu de frapper une balle de volley, je m’agrippe au sommet du mur à bout de bras. A partir de là, je me hisse jusqu’aux aisselles et lance mes jambes dans un mouvement de balancier jusqu’à ce que mes pieds agrippent le haut du mur. Fier de constater que les barbelés ne m’ont pas volés toute la force que mes biceps avaient à offrir, je fini de me hisser et termine allongé et haletant sur cette mince tranche de bois, reprenant mon souffle (ou plutôt le cherchant désespérément à coups de grosses inspirations rocailleuses). J’en redescends doucement, la dernière chose que je souhaite étant de me fouler une cheville.

Des guerriers Spartiates s'entraidant pour passer le mur. Petites tapettes !  Ouais, même la fille ouais !


Et je continue de courir. L’obstacle suivant n’est pas très loin. C’est un long tunnel en toile, du même genre que celui de l’étang, mais celui-là est dans la longueur. Il fait une trentaine de mètres de long, et on ne peut y avancer qu’à quatre pattes. Le sol sous les genoux est dur, les petits graviers qui le ponctuent sont tout sauf agréable, mais ça ralenti le rythme et me permet de reprendre mon souffle. A l’entrée du tunnel j’entend la volontaire évoquer « l’épreuve la plus dure », je lui demande donc avec surprise si elle parle du tunnel, que j’assimile à un petit binoclard comparé au chef de bande baraqué qu’est l’épreuve des barbelés. Elle répond en rigolant que non, pas du tout, l’épreuve la plus dure c’est pour bientôt… Oh vraiment ? Génial.

L'un des obstacles les plus facile.


Une fois sorti du tunnel je me remet à courir. Longtemps, au moins une dizaine de minutes, ou alors je suis tellement crevé que chaque minute semble plus longue. Nous repassons dans la forêt, zigzagant entre les arbres, les bosses, les crevasses. Je n’ai jamais autant voulu m’arrêter de courir, et la seule manière que j’ai de ne pas le faire est de m’imprimer dans le crâne que tant que je ne tombe pas de fatigue, je peux toujours courir. Et tous les cent mètres je me répète « tu vois, c’était faisable, et les cent mètres suivants le sont aussi, alors arrête de gémir et continue ! ».

Je ressors du bois assez fier de mon effort de volonté, pour tomber nez à nez avec « l’épreuve la plus dure ». Au début je ne comprend pas : je vois une centaine de seaux éparpillés sur le sol, et dans ce qui ressemble à un grand trou d’obus à moitié plein d’eau, des coureurs qui se baladent, certains remontant la pente juste devant moi en marchant dans des pneus. On nous demande de remplir deux seaux à moitié, et de revenir.

Boarf, ça a pas l’air si dur : descendre, remplir les seaux, remonter, avec en plus des pneus pour se stabiliser les pieds… rien de bien sorcier, la volontaire parlait sans doute d’une autre épreuve. Sauf que quand je commence à remonter la berge, on m’indique que non non, c’est pas par là, faut d’abord que je fasse le tour de l’étang en maintenant les seaux à moitié remplis hors de l’eau. Ah. Ah ouais, d’un coup là c’est plus chaud.

J’ai encore à ce jour (où j’écris cet article) une image qui refuse de me quitter. C’est de me retrouver dans cette eau noire et boueuse, en tenant mes mains en coupe que ne peux apercevoir sous l’eau qu’elles contiennent, tout en me demandant si je veux vraiment me nettoyer le visage avec ça. Je me souviens de décider que oui.

Je commence à suivre la berge, mais je me débrouille mal et me retrouve avec de l’eau jusqu’à la poitrine (et allez soulever deux seaux d’eau hors de l’eau avec de l’eau jusqu’à la poitrine !). Il faut dire aussi que le sol est du même genre que celui de l’autre mare : chaque pas s’enfonce de 30cm. La différence est que l’eau est couleur boue ici. Je ne saurais pas dire combien de fois je suis tombé dedans, parfois pour en ressortir en tête à tête avec un ou deux poissons morts, qui se comptaient par dizaines.

Dès les premiers mètres je trébuche sur un rocher marin invisible et m’ouvre la jambe au niveau du tibia. Ce n’est pas tant le fait de saigner dans une eau dégueulasse qui me gène, mais la douleur du tibia qui s’ajoute à l’épuisement, et au fait que je ne maitrise pas cet obstacle : à force de tomber mes seaux se remplissent entièrement d’eau, et je n’arrive pas à les vider de moitié, ce qui me ralenti et m’oblige à les hisser à moitié au lieu de complètement, me vallant les cris des bénévoles « Le but n’est pas de faire flotter les seaux ! ». Hey connard ! J’ai de l’eau jusqu’au cou et suis à moitié entrain de me noyer, je fini l’épreuve vivant, j’te fout les seaux dans la gueule et on reparle, ok ?!

Je viens de réaliser que je dois faire le tour de l'étang. Je suis également déjà tombé dans "l'eau". Pas le moment de me faire chier. N'empêche, sous cet angle, avec le tee-shirt mouillé, je ressemblerais presque à quelqu'un de baraqué. 
Vers les 3/4 de l’étang j’arrive à remonter légèrement sur la berge, ce qui m’offre de l’eau jusqu’à la taille et me permet de lever les seaux de manière convenable. Je n’arrive pas à obtenir la bonne quantité d’eau, du coup je décide de remonter avec les seaux pleins, je suis plus à ça prêt. Une fois en haut de la berge, on nous ordonne de les déverser sur les pneus et nos compagnons entrain des les escalader. Sadiques.

La remontée, avec quelques participants derrière qui commencent à faire le tour. Je tiens à préciser que l'étang parait plus petit qu'il ne l'est réellement.


Et c’est reparti, je me remets à courir avec une petite note de désespoir. A ce moment je suis le seul à repartir en courant de cet obstacle, ce qui me vaut les applaudissements et encouragement des spectateurs. Cela me regonfle le moral, et l’annonce d’un bénévole qu’il ne reste qu’un demi mile avant l’arrivé (soit un peu moins d’un kilomètre) me redonne de l’énergie que je ne pensais plus avoir : j’ai à nouveau un but en vu, quelque chose sur quoi me concentrer. Un demi mile c’est rien, j’en ai fais 2 et demi !

Et je cours, cours, cours. Jusqu’à l’épreuve suivante, celle qu’on pouvait apercevoir du camp de départ. Il s’agit du mur d’escalade en longueur. Facile !

Bien évidemment, c’est tout sauf facile. Il y a plusieurs murs, j’en choisi un au hasard sur lequel un coureur est entrain d’avancer péniblement, et une bénévole vient m’annoncer : un seul essai (comme d’hab), interdiction de s’accrocher au sommet du mur pour avancer (mince, j’avais effectivement prévu de faire ça) et il faut faire sonner la cloche au bout pour valider l’obstacle. Ce que je n’avais pas vu de loin est que les prises du murs ne sont rien d’autre que des morceaux de bois lisses cloués perpendiculairement, ne laissant que 3 ou 4cm de prise sans accroche, et toujours penché à gauche ou à droite (voir photo). Et le facteur inconnu : les pieds pleins de boue.

A ce moment, j’ai ramené la moitié de la boue de l’étang à l’intérieur de ma chaussure gauche trouée, ce qui est très désagréable (mon pied glisse à l’intérieur et ma chaussure glisse à l’extérieur). Je me hisse sur la première prise à l’aide de mes mains, et heureusement que ces dernières étaient sèches, car mon pied a déjà glissé. Ça me donne une bonne impression de ce que vont être les dix mètres à venir.

Bien sûr, les prises sont assez espacées pour rendre l’obstacle difficile. Mais faisable, en allant tout doucement. Avançant de droite à gauche, je comprends très vite que c’est une très mauvaise idée d’essayer d’éviter la prise occupée par mon pied gauche sous prétexte qu’il n’y a pas de place pour mon pied droit : je manque tomber en essayant d’atteindre la prise suivante. Je décide donc rapidement qu’une fois mon pied gauche stable, la meilleur technique consiste à me hisser à l’aide de mes doigts, et de changer de pied : mon droit prendra la place de mon gauche et supportera tout le poids du corps, et mon gauche sera à nouveau libre de chercher la prise suivante. C’est très lent, et je dois prendre mille précautions, mais si je me débrouille bien, je ne tomberais pas.

Heather commençant à grimper le mur à gauche, et un mec prêt à sonner la cloche à droite.  Et des pauvres gars qui pompent, au fond.


C’est sans compter les bénévoles. Je vois celle chargée de surveiller mon mur s’acharner sur le gars devant moi, lui hurlant aux oreilles « SIR ! VOUS ÊTES ENCORE SUR CE MUR SIR ?! Y’A QUELQU’UN DERRIÈRE VOUS ! VOUS VOYEZ PAS QUE VOUS RALENTISSEZ TOUT LE MONDE ?! MAIS VOUS PRESSEZ PAS SURTOUT, C’EST PAS UNE COURSE ! », et sous la pression, le pauvre homme d’essayer de se presser, et tomber, puis se diriger l’air misérable vers la fin de l’obstacle pour faire ses pompes.

C’est donc mon tour, et l’indistincte femme me hurle dessus de me magner le cul, que je ralenti tout le monde blabla. Sauf qu’à ce moment je sais bien que c’est dans le but de me faire tomber. Je souris donc de toutes mes dents, et plus elle hurle plus je souris, tout en gardant mon rythme lent (sérieusement, je ralenti personne). Quand j’arrive enfin à faire sonner la cloche, la jeune femme me rend mon sourire, me félicite, et m’invite à continuer la course. En dépassant la masse de participants entrain de faire leurs pompes je réalise que ma cloche a été la seule que j’ai entendu sonner pendant la durée de cet obstacle, sachant qu’il y avait 10 parcours de bois.

Le sourire qui dit "cause toujours", ou, plus précisément, "gueule toujours".


Je calme mon égo enflé (c’est pas dur de toute façon, je trop fatigué pour être vraiment fier) et me dirige vers l’épreuve suivante : le tir à la lance. Rien de fatigant, sauf si on rate, bien sûr. Et au vu du groupe de coureurs entrain de pomper, je vois que pas un seul n’a réussi. C’est une épreuve faite pour que personne ne réussisse : lancer une lance, malgré l’évidence sous-entendue dans cette phrase, n’est naturel pour personne, et en attendant mon tour je vois que la majeure partie des lances n’atteignent pas leurs cibles de paille, ou alors tournent sur elles-mêmes, la tête de lance finissant souvent pointant vers le lanceur.

Je me doute qu’il doit y avoir quelque chose qui cloche avec les lances, elles doivent être mal conçu exprès, quelque chose qui fait que tous ces mecs baraqués n’arrivent pas à atteindre une grosse cible en paille à 10 mètres d’eux.

Mon tour vient vite, et je saisi une lance dans la pile tandis que l’instructeur me répète : un seul lancé, si la lance ne se plante pas dans la cible, je pompe. La pointe de ma lance est légèrement courbée : j’aime pas ça. Je prends le temps d’en trouver une à la pointe bien droite. Je trouve ensuite le point d’équilibre du manche en bois, y place ma main droite, puis tend le bras en arrière pour avoir la pointe de la lance près du menton, en gardant la lance bien droite, quoique légèrement incliné vers l’arrière. La cible me paraît très simple à atteindre, je sens que mon lancé va aller droit au but. Il doit y avoir un piège.

Je m’élance de deux pas et envoi le tout d’un lancé sec. La lance file droit, et se plante profondément en plein cœur de la cible. Ah… bah non. Pas de piège. Les autres participants n’ont visiblement pas eu la même enfance que moi.

Heather au lancé de lance... qui échouera malheureusement.


Sous les applaudissements de la foule et le regard impressionné de l’instructeur qui me dit simplement « There you go ! » je dépasse le groupe de pompeurs pour l’obstacle suivant, à côté duquel un autre groupe pompe. Personne n’est sur l’obstacle, il n’y a qu’une bénévole qui arrose de produit vaisselle ce mur de bois incliné pour le rendre super glissant. Le mur est plus grand que celui déjà franchi, mais comme je l’ai précisé, penché en avant, comme un tremplin. Impossible de le monter sans aide, c’est pour ça que de courtes cordes pendent du haut du mur. J’en saisi une à bout de bras, et une fois ma prise ferme, je saute en me hissant, et place mon corps perpendiculaire au mur, faisans bien attention à ce que mon corps soit bien tendu et mes pieds bien à plat. Une fois stabilisé, je commence à avancer en me hissant et marchant doucement (ce qui est une sensation assez étrange : marcher presque en parallèle au sol). Une fois au sommet, je m’accroupi doucement, et d’une main saisi le haut du mur. Comme je m’y attendais, mes pieds en profitent pour glisser, mais ce n’est plus qu’une question de bras pour me hisser. En descendant, je jette un regard en arrière et réalise que le groupe de militaire commence à s’attaquer au mur. Je les ai dépassé sans m’en rendre compte, et l’arrivé étant à 100 mètres, je vais finir avant eux. Fierté. Le bois Français a bien chauffé.

Heather qui franchi vaillamment le mur glissant (quoi que vu la position de la fille du fond, il devait plus être si glissant que ça, parce que moi dans cette position je me serais ramassé les dents contre le bois...)


Reste donc 100 mètres et, si vous vous en rappelez, les deux colosses habillés en spartiates avec des cotons tiges géants. Vous vous rappelez sans doute aussi que j’avais prévu d’essayer de plaquer le moins costaud. Ouais. Bah là, je suis à moitié mort, sans force, et je m’en fout un peu de faire quelque chose d’original : je veux juste finir la course.

Mais pas sans jouer. Les colosses n’attaquent que les joueurs (beaucoup de participants, trop fatigués pour essayer de les éviter, les ignorent juste en passant en milieu, écopant d’une gentille petite tape de coton tige sur les fesses.) Mais les joueurs ? Haha, les joueurs s’en prennent plein la gueule. Comment fait-on savoir qu’on est un joueur ? En essayant des les éviter. Mais ces messieurs connaissent leur boulot. Ils feintent leurs frappes, et visent les jambes. Exemple : ils vont faire semblant de frapper au visage en passant au-dessus de la tête, et aussitôt, une fois le coureur passé, ramèneront leur coup derrière les genoux, ce qui a pour effet de faire décoller le coureur du sol, les jambes en l’air et la tête en bas. Rien de bien dangereux, le sol n’est pas très dur ici, il y a beaucoup de paille.


Ce qui pourrait m'arriver si je fais pas gaffe.

Mais pas question qu’ils me matraquent, je suis plus malin qu’eux ! Enfin j’espère… Le colosse de gauche est légèrement en avant, et c’est le plus costaud. C’est celui que je vais feinter, je m’occuperais du deuxième après, même s’il se tient juste derrière son pote…

Je m’avance donc en courant au milieu du chemin, le sourire aux lèvres. Les deux colosses me voient et se mettent en position, répondant au sourire, mais d’une manière plus vicieuse, du genre « T’as l’air confiant petit, on va t’expliquer que t’as tort ». Une fois à porté de coup du premier colosse, dans un mouvement de handball que je n’ai jamais oublié, je pratique un double appui avec une feinte de course vers la gauche puis m’élance à droite : ça marche, le gros colosse a suivi le mouvement et est à présent déséquilibré. Il réagi cependant très vite et me frappe au niveau des jambes. J’ai tout juste le temps de sauter par-dessus, le bout de mes pieds touchant son coton tige. J’entends la petite foule de spectateurs réagir bruyamment et applaudir, moquant gentiment le colosse. J’atterri devant son pote : pas le temps de réfléchir, dès que mes pieds touchent le sol je me jette sur la gauche et en direction de la ligne d’arrivée. Je sens son coton tige me frôler la hanche droite, mais rien de bien dangereux.

J’ai vaincu.
Je passe la ligne d’arrivée tout sourire, sous les quelques applaudissements des témoins de mon épique combat final. Une superbe fille habillée en guerrière spartiate me remet ma médaille en souriant. J’envisage un instant de la prendre dans mes bras, tant je suis heureux de terminer la course, mais la vue de son décolleté immaculé m’y dissuade : pas question de couvrir de boue une si jolie poitrine. Une autre jolie spartiate récupère le petit appareil qui me fut attaché au poignet au début de la course pour connaître mon temps.

Et ça y est, c’est fini. Etant encore un peu nauséeux, je marche quelques minutes avant d’accepter l’eau que l’on m’offre. Mais je suis heureux. Heureux et fier, très fier. J’ai fini cette putain de course ! Et j’ai pas raté un seul putain d’obstacle ! Je suis un putain de Spartiate !

La médaille est belle : rouge avec un casque d’argent gravé dessus, ainsi que quelques éclaboussures de même couleur. Le même genre d’éclaboussures qui parsèment mon visage. A ce moment là, c’est la plus belle médaille du monde, et ma fierté me hurle que je la mérite 1000 fois. Et même plus.

Je cherche Frank du regard (nous avions décidé de tous nous retrouver après la ligne d’arrivé) mais je ne le vois pas. Il a du aller prendre sa douche à l’extérieur du camp. Je me dirige donc vers l’épreuve de tir à la lance pour y attendre Maggie et les autres. J’y observe pendant 10 bonnes minutes les participants y échouer les uns après les autres. Un seul réussira, et il plantera à peine sa lance, de biais, dans le bas de la botte de paille. Clairement ce lancé n’aurait blessé personne, mais ça lui donne quand même le droit d’éviter les pompes, et au vu du peu de succès de l’épreuve, il y a bien droit.

Au bout d’un moment je reconnais le gars essayant de monter le mur glissant, puis finalement décider de faire les pompes : Frank. Hein ? Quoi ? Comment ? Je l’ai dépassé sans m’en rendre compte, et suis arrivé dix minutes avant lui. Ça, je m’y attendais pas du tout.

Je vais le rejoindre à l’arrivée, mais il est trop fatigué pour parler. Je reconnais alors Heather derrière la boue qui recouvre son visage, qui vient également d’arriver, et nous partageons nos impressions : elle est crevé, mais n’a jamais arrêté de courir sauf dans les côtes du début. Balaise. Elle qui pensait qu’elle n’allait pas faire un kilomètre et s’écrouler, elle a super bien géré.

Heather est puissante. Et son tee-shirt n'est plus blanc.

"Le mur de la Bravoure", sur lequel j'ai joyeusement écrit mon surnom, "Kake", ainsi qu'une signature de valeur : "B2C".


Maggie et sa mère arrivent une demi heure plus tard, soit 40 minutes après que je sois arrivé. Elles sont toute sourire, heureuses d’avoir fini. Je suis très impressionné par la mère de Maggie, et Maggie est impressionnée par nous tous (moi qui ne cours jamais, Heather qui pensait qu’elle pourrait pas le faire, sa mère parce que quand même, la cinquantaine !).

Maggie et sa mère usant de leur charme pour éviter les Colosses.


On se félicite tous les uns les autres, et partageons nos anecdotes de la course. Je réalise rapidement que je suis le seul à n’avoir échoué sur aucun obstacle : chacun d’entre eux a du faire des pompes 2 ou 3 fois. Plus tard, et par d’autres discussions avec d’autres participants, nous apprendrons que je suis une exception, qu’il est en effet rare qu’un participant finisse sur un sans faute. Ça me fait très plaisir bien sûr, mais dans un sens je savais que c’était mon point fort : je déteste courir mais j’adore tout ce qui se rapproche d’un obstacle (à part ces saletés de côtes à la con).

Prochaine étape : la douche collective! Ouaiiiis !


Quelques jours plus tard, nous recevons les résultats de la course par internet. J’ai fini en 48 minutes, et je suis … 19ème ! 19ème, bordel de merde ! J’en suis tellement excité que je l’annonce par SMS à Maggie… en français ! Je n’aurais jamais cru être dans le top 20, et si on me l’avait annoncé avant la course, je ne l’aurais pas cru. Je savais que je devais être parmi les 50 premiers, mais plus du côté de 50… Au final, je pense que ce qui m’a fait gagner autant de place a été de réussir tous les obstacles et ne pas perdre de temps à faire de pompes. Sur chaque épreuve je dépassais des groupes d’une dizaine de coureurs, ça compte forcément, même si certains me redoublaient en courant après.

En regardant le score je calcule que si je n’avais pas attendu 3 minutes pour passer par-dessus le mur de bois, j’aurais fini 10ème… que si j’avais choisi de faire des pompes au lieu de m’embourber dans le tour de l’étang avec ces seaux… top 5 ? ça fait tourner la tête. Au final je ne suis toujours pas un coureur, et même si les obstacles ne m’ont pas vraiment permis de récupérer comme je l’espérais, ils ont tout de même joué en ma faveur en ralentissant tous ces habitués de la course à pied.

Je ressors de cette épreuve grandis, ce que j’espérais, mais avec en plus la satisfaction d’un classement qui est loin de me faire rougir. The Spartan Race a rempli son rôle, une épreuve sensée me pousser jusqu’à mes limites tout en boostant ma confiance en moi. Et clairement, cette confiance, sur le plan physique elle est à présent boostée.

La course suivante de The Spartan Race fait 8 miles, soit presque 3 fois cette course (13 km). Heureusement que je n’ai pas eu l’opportunité de la courir… de tout mon cœur, heureusement. Mais entre nous, si à l’avenir cette opportunité se présentait… je crois que je serais assez con pour la saisir.